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Côte d'Ivoire: témoignages troublants de Venance Konan

Crise en Côte d'Ivoire. 
L'écrivain Ivoirien Venance Konan livre un témoignage troublant et accuse ses compatriotes en France d'aveuglement face à la réalité de ce pays et du régime Gbagbo.
" Jusqu’à ce jour en Afrique, tous les maux de la société sont toujours attribués à un sorcier ou une sorcière. Cette mentalité anime encore bon nombre d’intellectuels africains et panafricanistes installés bien au chaud en France. Pour eux, pour toute chose, il faut chercher le coupable ailleurs. Et pour eux, tout ce qui arrive de négatif en Afrique est le fait de la France ou de son excroissance, la Françafrique. C’est elle, notre sorcier.
Ainsi, la crise postélectorale qui secoue la Côte d’Ivoire serait la faute à la France ou à la Françafrique. Chère Françafrique! Que serions-nous devenus si tu n’avais pas existé pour nous dédouaner de toute responsabilité dans nos malheurs. Laurent Gbagbo et Blé Goudé sont ainsi présentés par nos chers intellectuels africains de Paris comme de preux chevaliers qui se battent pour délivrer leur pays, voire tout le continent, des griffes de la vilaine Françafrique.
Des rives enneigées de la Seine, personne parmi eux n’a remarqué que Laurent Gbagbo a cédé toute l’économie de son pays aux multinationales, surtout françaises, et qu’en dix ans de règne, il n’a formé aucun cadre susceptible de créer ou de diriger la moindre entreprise, puisqu’il a laissé la FESCI tuer tout le système éducatif en y pratiquant le racket, le viol, le meurtre. Personne n’a remarqué la formidable prédation à laquelle s’est livré son régime sur l’économie ivoirienne et la corruption que ce régime a secrété, gangrénant toute la société ivoirienne. Personne là-bas n’a remarqué que Blé Goudé a triché pour obtenir sa licence, qu’il est le chef des « Jeunes patriotes » qui se sont surtout signalés par leur aptitude à racketter, à violer, et à tuer, et que ce Blé Goudé, aujourd’hui nommé ministre par Gbagbo, est sous sanctions de l’ONU pour tous ces motifs.
Et personne là-bas n’a remarqué la liberté de la presse bâillonnée, les messages de haine délivrés par la radio télévision nationale et la presse proche de Laurent Gbagbo, les ressortissants étrangers quotidiennement menacés. Non! Laurent Gbagbo est « un grand combattant de la liberté »!
Trêve de balivernes. Ce qui se passe en Côte d’Ivoire en ce moment est tout simplement une tentative de braquage de la démocratie. Les Ivoiriens ont voté et ont, dans leur grande majorité, donné leurs voix à Alassane Ouattara. Et Laurent Gbagbo qui proclame urbi et orbi que son pouvoir lui vient de Dieu ne veut pas le lâcher.

Nos intellectuels africains et panafricanistes de Paris nous parlent d’ingérence de la communauté internationale dans les affaires d’un pays africain, du droit qui a été dit par le Conseil constitutionnel en faveur de Gbagbo, de supposés trucages des scrutins dans le nord de la Côte d’Ivoire, de pressions des rebelles des Forces nouvelles.

Sans doute que dans le confort dans lequel ils vivent à Paris, ils n’ont pas remarqué qu’en 2005, ce sont les leaders politiques ivoiriens, Gbagbo à leur tête, qui ont demandé à l’ONU de venir certifier tout le processus électoral ivoirien. On se souvient tous qu’en février dernier, Laurent Gbagbo avait dissout la Commission Électorale Indépendante et obtenu des modifications dans sa composition, ainsi qu’un nouveau président. On se souvient que l’enrôlement sur les listes électorales avait été l’objet de plusieurs blocages et reports, pour satisfaire les désirs de Laurent Gbagbo. Je vous épargne toutes les péripéties des audiences foraines où le sang avait même coulé. Nous avons mis cinq ans pour obtenir que Gbagbo convoque le collège électoral au scrutin. Entre temps, il avait signé l’accord politique de Ouagadougou, avec M. Guillaume Soro qu’il a présenté avant l’élection comme le meilleur de ses différents Premiers ministres.
C’est cette communauté internationale, aujourd’hui vouée aux gémonies par le clan Gbagbo, qui avait financé tout ce processus. Et c’est lorsqu’elle a validé la liste électorale qu’on est allée à l’élection. Personne à cette époque n’avait parlé « d’ingérence étrangère et de souveraineté nationale bafouée » (comme l’a fait Gbagbo après les élections).
Nous sommes allés au premier tour du scrutin, avec toujours les rebelles armés au nord. Personne n’y avait trouvé à redire. Les résultats qui plaçaient M. Gbagbo en tête ont été acceptés par tous, après la certification du représentant de l’ONU. Et dans le décret de Gbagbo convoquant les Ivoiriens au second tour, il est bien mentionné : « vue la certification des résultats du premier tour par le Représentant spécial du secrétaire général de l’ONU… »
Je vous rappelle aussi que M. Gbagbo avait instauré un couvre-feu dans tous le pays à la veille du second tour, et dépêché 1500 soldats dans les zones occupées par l’ex-rébellion. À l’issue du scrutin, personne n’a signalé d’incidents majeurs ayant entaché la sincérité du scrutin, personne parmi ceux présents sur place et habilités à rendre compte de la manière dont les opérations se sont déroulées, à savoir les préfets et sous-préfets nommés par Laurent Gbagbo, les observateurs de l’ONUCI, de l’Union européenne, de l’Union africaine, de la CEDEAO, du Centre Carter, les journalistes présents, et Dieu seul sait combien ils étaient nombreux.
On a donc signalé aucun incident entre les soldats envoyés par Gbagbo et les Forces nouvelles. On est d'accord? Et voici qu’à peine le président de la CEI a-t-il donné les résultats provisoires que le président du conseil constitutionnel se précipite sur le plateau de la télévision pour annoncer que les déclarations du président de la CEI sont nulles et non avenues, parce que des résultats seront annulés. Et quelques heures plus tard, sans qu’on sache comment il a enquêté, il annule d’un trait les résultats des départements du nord ainsi que celui de Bouaké qui ont massivement voté pour M. Ouattara. Vous ne trouvez pas cela un peu gros?
Mais ce qui est absolument inacceptable est le fait que le Conseil constitutionnel a pris sa décision totalement en dehors du Droit. La loi ivoirienne dit très précisément ceci :
« Dans le cas où le Conseil constitutionnel constate des irrégularités graves de nature à entacher la sincérité du scrutin et à en affecter le résultat d’ensemble, il prononce l’annulation de l’élection et notifie sa décision à la Commission électorale indépendante qui en informe le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies et le Représentant du Facilitateur. La date du nouveau scrutin est fixée par décret pris en conseil des ministres sur proposition de la CEI. Le scrutin a lieu au plus tard 45 jours à compter de la date de la décision du Conseil constitutionnel. »  
Qu'est-ce qui est ambigu dans ce texte? Qu’est-ce qui est sujet à interprétation? Absolument rien, dans le droit ivoirien n’autorise le Conseil constitutionnel à annuler les résultats du scrutin d’une région, de manière à inverser les résultats provisoires. Le Conseil constitutionnel ivoirien, ami de Gbagbo, a tout simplement inventé ici le droit. Or il n’est pas le législateur. Son rôle est de dire le droit, et rien que le droit.

Aussi, lorsque j’entends nos intellectuels africains et panafricanistes de Paris s’arcbouter sur le fait que le Conseil constitutionnel a le dernier mot, se rendent-ils compte de ce qu’ils défendent? La Côte d’Ivoire a connu une rébellion armée (2002) parce qu’à un moment donné, les ressortissants du nord de ce pays avaient été suspectés de n’être pas totalement Ivoiriens. Après une dizaine d’années de tumulte et plusieurs reports, des élections libres et transparentes se sont déroulées sous le regard du monde entier. Elles ont été les plus coûteuses au monde. Et le monde entier a constaté le très fort taux de participation qui était un record mondial. Et voici que le Conseil constitutionnel raye d’un trait les votes de toutes les régions du nord.  Ces intellectuels africains et panafricaniste se rendent-ils comptent qu’en défendant cela ils cautionneraient la future guerre civile qui dévasterait la Côte d'Ivoire? C’est cela leur panafricanisme? S’en rendent-ils compte?
Les Ivoiriens ont voté clairement, et Laurent Gbagbo veut confisquer leur volonté. Il n’y a pas de Françafrique dans cette affaire. Chercher des poux dans les cheveux de la France, c’est chercher à accuser un sorcier lorsqu’un homme ivre se tue au volant de sa voiture. Nos intellectuels ont presque tous fui leurs pays respectifs pour cause de déficit démocratique et d’absence de liberté, disent-ils. Nous autres qui avons fait le choix de continuer de vivre sur le continent malgré tout, nous avons toujours rêvé de voir nos pays devenir aussi démocratiques qu’ailleurs, avec la conviction que notre état actuel n’est pas une fatalité.
On a toujours reproché à la France d’avoir piétiné les désirs démocratiques des peuples africains et de leur avoir imposé des dirigeants corrompus. Et voici qu’un peuple africain a pu choisir librement, pour la première fois de son histoire, celui qu’il veut comme dirigeant. Et un dictateur aux petits pieds veut tuer cette démocratie naissante en massacrant tous ceux qui dans son pays s’opposent à lui.
Toute la communauté internationale dit non à ce hold-up. Et ce sont nos intellectuels africains et panafricanistes de Paris qui, aujourd’hui, prennent la défense de cet assassin, aux côtés des Vergès, Dumas (avocats de Gbagbo), et autres barons de l’extrême droite française? Pincez-moi, je rêve! Et ils ne disent pas un seul mot sur les centaines de personnes que Gbagbo et ses mercenaires tuent tous les jours! C’est vrai que Paris est loin et ils n’entendent pas les crépitements des mitraillettes, les cris des personnes que l’on enlève, que l’on torture, les bruits des casseroles sur lesquelles les femmes tapent la nuit dans tous les quartiers pour signaler l’arrivée des tueurs, dérisoires défenses contre le silence des intellectuels africains et panafricanistes de Paris.
Non, vous n’entendez pas, et vous direz comme le clan Gbagbo que ce sont des rumeurs, que c’est encore un complot de la communauté internationale. Mais moi je vis à Abidjan et chaque nuit, je me couche avec la peur au ventre, et, pendant les nuits de couvre-feu, j’ai entendu durant des heures les tirs des miliciens et mercenaires de Gbagbo. J’ai moi aussi fait le compte de mes connaissances tuées, torturées ou disparues. Je ne sais pas quand mon tour arrivera, parce que je suis dans leur collimateur. De grâce, que ceux qui ne peuvent rien pour nous aient au moins la décence de se taire.

(Le 8 janvier, V. Konan faisait un autre témoignage tout aussi troublant à propos du règne Gbagbo).

Venance Konan   Courriel : venancekonan@yahoo.fr
Site web : www.venancekonan.com

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