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lundi

La légende de la grenouille chauffée


"La grenouille ne savait pas qu'elle était cuite."

Imaginez une marmite remplie d’eau froide, dans laquelle nage tranquillement une grenouille. On allume le feu sous la marmite. L’eau se chauffe doucement. Elle est bientôt tiède. La grenouille trouve cela plutôt agréable et continue de nager. La température commence à grimper. L’eau est chaude. C’est un peu plus que n’apprécie la grenouille ; ça la fatigue un peu, mais elle ne s’affole pas pour autant. L’eau est maintenant vraiment chaude. La grenouille commence à trouver cela désagréable, mais elle est aussi affaiblie, alors elle supporte et ne fait rien. La température de l’eau va ainsi monter jusqu’au moment où la grenouille va tout simplement finir par cuire et mourir, sans jamais s’être extraite de la marmite. Plongée dans une marmite à 50°, la grenouille donnerait immédiatement un coup de pattes salutaire et se retrouverait dehors.

Cette expérience montre que lorsqu’un changement négatif s’effectue de manière suffisamment lente, il échappe à la conscience et ne suscite la plupart du temps pas de réaction, pas d’opposition, pas de révolte.

C’est exactement ce qui se produit dans la société où nous vivons. D’année en année, on observe une constante dégradation des valeurs, laquelle s’effectue cependant assez lentement pour que personne - ou presque - ne s’en offusque.

Pourtant, comme la grenouille que l’on plonge brusquement dans de l’eau à 50°, il suffirait de prendre un citoyen moyen du début des années 80 et, par exemple, de lui faire regarder la TV d’aujourd’hui ou lire les journaux actuels pour observer de sa part une réaction certaine de stupéfaction et d’incrédulité. Il peinerait à croire que l’on puisse un jour écrire des articles aussi médiocres dans le fond et irrespectueux dans la forme que ceux que nous trouvons normal de lire aujourd’hui, ou que puissent passer à l’écran le genre d’émissions débiles qu’on nous propose quotidiennement.

L’augmentation de la vulgarité et de la grossièreté, l’évanouissement des repères et de la moralité, la relativisation de l’éthique, se sont effectués si lentement que bien peu l’ont remarqué ou dénoncé. Chaque fois qu’un changement est trop faible, trop lent, il faut soit une conscience très aiguisée soit une bonne mémoire pour s’en rendre compte. Il semble que l’une et l’autre soient aujourd’hui chose rare.

Sans conscience, nous devenons moins qu’humain. Gavée par trop d’informations inutiles, la mémoire s’émousse. Abrutie par un excès de stimulations sensorielles, la conscience s’endort.

Et notre civilisation s’enfonce ainsi dans l’obscurité spirituelle, avec le délitement social, la dégradation environnementale, la dérive faustienne de la génétique et des biotechnologies, et l’abrutissement de masse - entre autres symptomes - par lesquels elle se traduit.

Le principe de la grenouille dans la marmite d’eau est un piège dont on ne se méfie jamais trop si l’on a pour idéal la recherche de la qualité, de l’amélioration, du perfectionnement, si l’on refuse la médiocrité, le statu quo, le laisser-faire.

Incidemment, ce principe fonctionne aussi au positif. Les efforts positifs que l’on fait quotidiennement provoquent eux aussi des changements mais parfois trop faibles pour être immédiatement perçus ; ces améliorations sont pourtant bien là, et à ne pas les observer, certains se laissent décourager à tort.

Comment, alors, ne pas succomber au piège du principe de la grenouille dans la marmite d’eau, individuellement ou collectivement ? D'une part il ne faut cesser d’accroître sa conscience, d’autre part il faut conserver un souvenir intact de l’idéal et des buts que l’on s’est fixés.

1 commentaire:

  1. DE JOHN
    Il y a trop longtemps que je n’ai pas lu votre blog. À propos de « La légende de la grenouille chauffée » : Ça m’a fait grand plaisir de lire cet article.
    Moi, ce qui me frappe aujourd’hui, c’est comment chaque personne semble enfermée dans son propre monde dont le centre est le téléphone cellulaire. Il me semble que les gens ne sont pas « présents » dans l’espace physique qu’ils occupent, mais ils sont chacun le SEUL citoyen d’une planète « virtuelle » ou ils peuvent écouter de la musique plutôt que d’entendre la musique des oiseaux ou la conversation de ceux qu’ils l’entourent.

    La seule réponse, il me semble, est de vivre consciemment, intelligemment, d’incarner les changements qu’on peut voir dans le monde (comme a dit Gandhi).

    Récemment, je lisais des vers du poète anglais W.H. Auden qu’il a écrits dans les années 30, qu’il a appelées « a low, dishonest decade ». J’ai ressenti, à travers ses poèmes, la douleur de cet homme sensible et allumé qui avait la mauvaise chance de vivre sa jeunesse dans une période où les tendances politiques étaient effrayantes.
    Parfois, il est difficile de croire qu’on existe dans un monde tellement plein d’horreurs. Mais ... on peut essayer de mener une bonne vie, ou essayer même de comprendre ce que c’est, «une bonne vie». C’est tout ce qu’on peut faire, mais c’est le travail d’une vie.

    Continuez de publier vos articles intéressants, inspirants et parfois incendiaires! (Et excusez mes fautes en français.)

    J.S.

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