Le poète québécois Hector de Saint-Denys Garneau (1912-1943) est de loin celui qui m'a le plus profondément marqué alors que j'étais adolescent. Je me suis immédiatement identifié à lui. Tout cela est bien visible dans les poésies que j'ai publiées entre 1983 et 1993 (dépôts à la Bibliothèque nationale du Québec).
En le relisant, je me suis souvenu de deux poèmes en particulier qui ont vivement impressionné mon âme, par leur tonalité à la fois candide et sage, par l'urgence du propos émotif, et par le choix et la disposition à la fois chirurgicale et impressionniste des mots et des phrases presque complètement dénuées de ponctuation. Voici probablement les trois plus importants pour moi.
C'EST LÀ SANS APPUI
Je ne suis pas bien du tout assis sur cette chaise
Et mon pire malaise est un fauteuil où l'on reste
Immanquablement je m'endors et j'y meurs.
Mais laissez-moi traverser le torrent sur les roches
Par bonds quitter cette chose pour celle-là
Je trouve l'équilibre impondérable entre les deux
C'est là sans appui que je me repose.
Je marche à côté d'une joie
D'une joie qui n'est pas à moi
D'une joie à moi que je ne puis pas prendre
Je marche à côté de moi en joie
J'entends mon pas en joie qui marche à côté de moi
Mais je ne puis changer de place sur le trottoir
Je ne puis pas mettre mes pieds dans ces pas-là
et dire voilà c'est moi
Je me contente pour le moment de cette compagnie
Mais je machine en secret des échanges
Par toutes sortes d'opérations, des alchimies,
Par des transfusions de sang
Des déménagements d'atomes
par des jeux d'équilibre
Afin qu'un jour, transposé,
Je sois porté par la danse de ces pas de joie
Avec le bruit décroissant de mon pas à côté de moi
Avec la perte de mon pas perdu
s'étiolant à ma gauche
Sous les pieds d'un étranger
qui prend une rue transversale.
Je suis une cage d'oiseau
Une cage d'os
Avec un oiseau
L'oiseau dans ma cage d'os
C'est la mort qui fait son nid
Lorsque rien n'arrive
On entend froisser ses ailes
Et quand on a ri beaucoup
Si l'on cesse tout à coup
On l'entend qui roucoule
Au fond
Comme un grelot
C'est un oiseau tenu captif
La mort dans ma cage d'os
Voudrait-il pas s'envoler
Est-ce vous qui le retiendrez
Est-ce moi
Il ne pourra s'en aller
Qu'après avoir tout mangé
Mon coeur
La source du sang
Avec la vie dedans
Il aura mon âme au bec.
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