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Je vis dans le Mile-End, un quartier branché, habité par des redingotes
hassidiques, des robes de deuil portugaises et les jupes à «raz le
plaisir» de filles venues de Toronto pour flâner indéfiniment dans nos
rues accueillantes.
Il y a cent ans, le Mile End était une petite ville indépendante avec
son hôtel de ville, son église et une population majoritairement
canadienne française.
Au détour de la Seconde Guerre mondiale, les Juifs
sont venus s’y installer en si grand nombre que la langue parlée par la
majorité était le Yiddish. Au cours des années 1970, les Italiens et
les Portugais y ont peu à peu remplacés les Juifs partis s’installer
dans l’ouest et ont ouvert des commerces. Si bien qu’on retrouve, chez
nous, les meilleurs cafés Italiens, des épiceries portugaises, des
boucheries hébraïques et les meilleurs bagels au monde.
Le Mile-End est donc un quartier
formidable qui attire une nouvelle
ethnie toute blanche : le Canadien anglais. Mais attention, pas
n’importe quelle sorte : l’alter mondialiste/écolo/ conscientisé/
artiste/et curieux de tout…sauf de la société québécoise.
Il y a
quelques années déjà que j’étudie cette ethnie avec attention et je
m’étonne encore de l’incontournable : «Sorry, I dont speak french»
prononcés par des êtres aussi scolarisés qui disent avoir choisi de
vivre à Montréal, P.Q. parce que la ville vibre distinctement de
Toronto, Halifax, Calgary ou Vancouver.
Dans notre inconscient
collectif, dans le mien du moins, l’unilingue anglophone de Montréal est
incarné par une vieille dame de Westmount qui fait du bénévolat au
Musée des beaux arts. Elle parle très bien le français à Paris, mais
jamais ici. Son mari est avocat et membre du Parti libéral du Canada. Le
couple se lève plus tôt le matin pour détester plus longtemps le P.Q.
et la loi 101. Ils lisent la Gazette et croient que les francophones
sont tous xénophobes. J’ai travaillé au Musée des beaux arts de Montréal
pendant mes études et cette race-là, je la connais bien.
Cet unilinguisme-là ne me dérange pas le moins du monde, il me fait
sourire par son anachronisme attendrissant. Il nous rappelle pourquoi le
Québec a connu des luttes linguistiques, il est le symbole d’une époque
révolue, celle où ma mère exigeait qu’on lui adresse la parole en
français chez Eaton. Leur «Sorry I do not speak french» est
imbriqué dans la culture québécoise, alors que l’unilinguisme des mes
contemporains du Mile-End traduit une indifférence que je ne m’explique
pas et qui m’insulte. Ils sont aussi incapables de discuter en français
que de nommer le Premier ministre du Québec ou le maire de Montréal et
ne savent pas si Hochelaga Maisonneuve se trouve à l’est ou à l’ouest de
la rue McGill.
La première fois que j’ai rencontré cette indifférence linguistique
et culturelle, c’est il y a à peu près dix ans. À une
fête, chez Amy, une cinéaste torontoise qui vit à Montréal depuis sept
ou huit années. Elle vient de réaliser un documentaire sur les femmes
lesbiennes en Afrique noire. Devant ses amis, elle est fière de dire
qu’elle a dû apprendre le swahili pour entrer en contact avec les gens
du pays. Impressionnée, je lui demande en français si l’apprentissage du
swahili a été ardu, elle me répond : «Sorry?» avec l’air
perplexe de celle à qui on adresse la parole dans une langue inconnue.
Je lui repose la question en anglais avant de m’étonner : «You’ve been living here for seven years and dont speak french?!»
complètement incrédule devant cette curiosité linguistique paradoxale.
Elle me répond, sans saisir à quel point sa réponse est ironique : « French… It’s really hard for me!»
Débute alors une conversation animée. La plupart des convives vivent
au Québec depuis plusieurs années et ne parlent pas un christ de mot de
français ! Le fait que je veuille comprendre pourquoi, s’ils ne peuvent
communiquer avec 85 % de la population, ils sont venus s’installer ici,
les exaspère. Rapidement, l’un d’entre eux s’énerve : «les francophones
sont racistes, nous avons le droit de parler anglais ici», etc.
Manifestement, ça le dérange d’être confronté à un manque de curiosité
intellectuelle qu’il refuse d’admettre. Le type est musicien, a fait le
tour du monde, mange de la bouffe indienne et, pourtant, l’ethnie et la
langue Québécoise ne l’intéresse absolument pas.
L’amie francophone qui m’avait invitée à la fête était verte de
honte. Elle étudiait à Concordia et était gênée de moi comme une
adolescente qui ramène ses amis à la maison. Elle ne voulait surtout pas
qu’il y ait de chicane, que ses amis unilingues l’associent à un une
lutte linguistique qu’elle désapprouvait. Stéphanie aurait souhaité
qu’on admire son amie qui parle swahili sans soulever le fait qu’elle ne
parlait pas le français puisqu’après tout c’était son choix et qu’il
fallait le respecter.
Depuis, cette histoire se répète inlassablement. Et je continue le
combat.
Pas plus tard qu’hier, dans un café, rue St-Viateur, un type me
drague. Il me déclare, en anglais, que j’ai des yeux magnifiques et
qu’il aimerait beaucoup m’inviter à souper. Le gars vient d’Halifax, vit
à Montréal depuis cinq ans et suit actuellement des cours de chinois…
But guess what? Il ne parle pas français! «French is a very difficult»,
me dit-il.
Je lui renvoie alors que le jour où il sera capable de me
demander mon numéro en français, je considèrerai son invitation.
Il me
répond dégoûté que je ne suis qu’une hystérique : «I guess you are P.M.S right now…»
se lève et part.
Mon amie Nadia, francophone, demeure interdite devant
mon intransigeance et me sermonne : «Voyons t’es ben pas fine ! »
Alors que j’ai rencontré, lorsque je vivais à Toronto ou à Vancouver,
de nombreux Canadiens anglais curieux du Québec, de notre langue et de
notre culture, je ne cesse de rencontrer à Montréal ce genre de
francophones qui se nient eux-mêmes et ces anglophones déconnectés qui
ont élu domicile in the Plateau. And I just dont get It.
Well, ce n’est pas pour me vanter, mais à la suite de notre
conversation, Amy s’est inscrite à un cours de français intensif à
Baie-Saint Paul. Elle parle français avec un accent très mignon et s’est
trouvé un job à l’Université du Québec à Montréal. Le musicien,
aujourd’hui mondialement connu, est le seul à pouvoir donner des
entrevues aux médias francophones lorsque son groupe est de passage à
Montréal. Il en est très fier. Chaque fois que je les croise dans le
Mile End, ils me remercient, en français, de ne pas avoir été fine.
Anyway.
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pilule bleu merci pour ce blog, je dirai que la diversité des habitudes et des croyances dont la différence mais aussi la richesse d'une ville.
RépondreSupprimerMalheureusement, la "diversité" n'est aucunement une garantie d'un bon "vivre ensemble"; j'aurais même tendance à croire le contraire, d'après ce que je vois.
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