Le Soleil, 18 février 2016
Choisissez votre salopard
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L'ancien premier ministre canadien John A. Macdonald a notamment été plongé dans la pire affaire de corruption de l'histoire canadienne, le scandale du Pacifique.
POURQUOI NE PAS EFFACER SON NOM À LUI AUSSI?.
En
l'espace de 48 heures, le nom de Claude Jutra a été rayé de la carte.
Une vraie liquidation. Les rues, les parcs, les prix du cinéma, tout
doit être rebaptisé. Personne ne veut être soupçonné de nourrir la
moindre sympathie envers un pédophile.
Fort bien. Mais entre nous, ce ne sont pas les noms de salopards qui
manquent dans le paysage. Vous avez l'embarras du choix. Songeons au
général Monckton (Moncton), l'un des responsables de la déportation des
Acadiens, qui fit des milliers de victimes.
À moins de préférer Lord
Amherst, un précurseur de la guerre bactériologique?
Car Monsieur
a fait distribuer des couvertures infectées par la variole aux
Amérindiens, «afin d'éradiquer cette race répugnante».
Même chose pour Pie XII, parfois surnommé «le pape d'Hitler», à cause de
son silence bienveillant face à l'extermination de millions de Juifs,
durant la Seconde Guerre mondiale.
Et comment expliquer le
culte de l'ancien premier ministre John A. Macdonald, dont la tête orne
les billets de 10$? N'est-il pas célébré comme un héros, voire comme le
père du Canada moderne?
Car il s'agit du premier ministre
qui se vantait d'avoir laissé les Amérindiens de l'Ouest mourir de faim,
pour libérer le territoire; du politicien plongé dans la pire affaire
de corruption de l'histoire canadienne, le scandale du Pacifique; le même raciste qui craignait que les travailleurs chinois mettent en
péril «le caractère aryen» du Canada.
Oui, il s'agit bien de ce John A. Macdonald là. Et de bien plus encore.
Peu importe. Ne reculant devant rien, le gouvernement du Canada a placé le grand homme au coeur des fêtes du 150e anniversaire
de la Confédération, l'an prochain.
Il a aussi instauré la journée sir
John A. Macdonald, célébrée chaque année, le 11 janvier, une autre occasion de
réécrire l'histoire canadienne.
«Je vous invite à en apprendre davantage sur la vie du sir John A.
Macdonald et sur sa vision d'un pays qui valorisait la diversité, la
démocratie et la liberté», a papoté la ministre du Patrimoine canadien,
Mélanie Joly, lors des cérémonies de cette année.
Plus vide que cela, tu sers d'aspirateur. Même que si vous placiez toute
la sincérité de ce genre de déclaration sur la tête d'une mouche à
fruits, il resterait encore de la place.
«L'histoire, c'est une suite de mensonges avec lesquels nous sommes d'accord», disait Napoléon.
Au fil des ans, le Canada s'est fabriqué de toutes pièces un Macdonald
«idéal» ainsi qu'une identité.
Un MacDonald « visionnaire », généralement présenté sous les traits d'un
gentil alcoolique, à peine échevelé.
Et, surtout, ne vous avisez pas de
contredire ce conte de fées. On vous accuserait de juger le passé avec
les valeurs de notre époque. Ou pire, de manquer de patriotisme. Le
péché suprême.
Tant pis si la célébration de l'ancien premier ministre tourne à la
farce.
En 2014, l'historien James Daschuk, auteur d'un livre dévastateur
sur Macdonald, a remporté le prix... Sir John A. Macdonald, attribué au
meilleur essai sur l'histoire canadienne1.
1. Clearing the Plains: Disease, Politics of Starvation, and the
Loss of Aboriginal Life, Regina, University of Regina Press, 2013.
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